La coupure
en la vue du
Sahaja
par Lama Shérab Namdreul
Compilation d’enseignements donnés lors des cycles Sahaja-Mahamoudra
ceci est extrait du texte : Pensée et imputation
Le concept de « couper » (tib. tcheu)
se retrouve dans de nombreux enseignements comme dans la lignée de « Chi Djé » (ce qui apaise) de Padampa Sangyé à Matchik
Labdreun ou dans les transmissions du Dzogtchèn et du
Mahamoudra. D'une certaine manière, le yoga de Poa est également "une coupure" au sens où l'on coupe sans tergiverser toute identification aux cinq agrégats. Il est important de bien comprendre « ce que l’on coupe »
parce qu’il ne s’agit pas de « couper la pensée » ou encore « couper
les émotions ». Il ne s’agit pas de couper quelque chose. Pour couper une
pensée faudrait-il encore qu’il y ait quelque chose comme étant une pensée.
La pensée est
le continuum cognitif mental que l’on appelle « esprit ». Ce
continuum est semblable à un fleuve. D’ailleurs, toutes les manifestations
peuvent être comparées à un fleuve, le fleuve de la matière, le fleuve
biologique du corps, le fleuve de l’esprit. Toutes les manifestations sont de
nature transitoire, immuablement (vajra) transitoire à l’image d’un fleuve d’eau.
Essayez de couper un fleuve ; avec un canif cela fera un flop, vous ne
ferez que du remous ou avec une épée, ce sera « un coup d’épée dans
l’eau ». Peut-être qu’avec de gros moyens vous arriverez à faire un
tsunami, mais rien ne se trouvera coupé.
La nature
transitoire du mental est immuablement vide de constituant réel. S’il y avait
des instants de pensée, on pourrait envisager de couper entre deux instants de pensée.
Peut-être que la
pensée est la cause de tous nos malheurs voire même du samsara comme semblent
l'affirmer certains enseignants. Pourquoi pas ! On peut partir de cette
hypothèse et je peux admettre que moi-même je n'’énonce que des hypothèses mais
d'une façon ou d'une autre, il est nécessaire de comprendre où se niche la
discrimination et ses imputations puis de les couper. Une fois en l’évidence de
la « coupure » nous aurons tout le loisir de vérifier nos hypothèses.
Alors, appliquons-nous à couper la discrimination que l'on a de la pensée et
dans la même logique, à couper la discrimination que l'on a de la non-pensée.
Cette discrimination est le langage de la soif et agit par
imputation (sct. vikalpa, tib. nam-tok) à chaque
saisie. Ce langage imputatif constitue ce qu'on peut appeler "le dis-cours mental" c’est à dire le cours naturel mental se trouvant dis-continu d’une
série d’imputations artificielles et erronées. Si l’on observe ce discours
mental, on remarque qu'il est superfétatoire et procédurier et qu’il n’est
qu’une élaboration de schémas et de conditionnements.
On coupe toute intervention intempestive d’imputer quoi que ce
soit sur la pensée et tout autre fonctionnement naturel de l’esprit
comme : sensation, perception, émotion, conscience. Si l’imputation n’a pu
être coupée, elle s’intègre au continuum mental qui s’imprègne ainsi d’une
souillure sur le karma. En quelque sorte, l’imputation correspondrait à une
implantation d’un OGM dans un continuum végétal, par exemple, mais en lui
instaurant un programme contre nature.
On ne peut pas couper une nature,
on ne peut interrompre que des facteurs mentaux[1]
(tib. sèm djoung) parce
qu’ils sont de notre fait. Dans le cas précis de « la coupure » on
coupe « la tendance impulsive d’imputer », on ne lui laisse pas le temps
d’interférer.
En interrompant l’action d’une imputation cela permet, ne
serait-ce qu’un instant, d’entrevoir la nature du continuum de l’esprit.
Finalement « on interrompt pour n’être pas couper » comme on le
ferait avec un bavard en lui signalant d’un seul regard qu’il n’a pas la
permission de nous couper la parole. On devient plus rapide que le bavard
intérieur.
Depuis des temps sans commencement que l’on ignore la nature
ultime de l’esprit, chaque imputation accumulée souille le karma naturel (tib. trin-lé) de l’esprit primordial. Cependant, l’imputation
est de la nature d’une fiction et relève d’une méprise. Une nature artificielle
signifie qu’elle est adventice comme l’encre ajoutée à la nature de l’eau ou
les molécules de CO2 en la nature de l’espace. Tant que l’on saisit pour réel
ce qui n’est qu’artificiel, nous donnons puissance à cette fiction.
La Vue de la base, du chemin
et du fruit
Pour inverser la tendance, il faut revenir aux quatre
fondamentales Vérités des Nobles et considérer
le "mal-être" (sct. doukha) comme le symptôme de nos illusions puis
se refuser de continuer d’être illusionné, avec la perspective d’une délivrance possible
de l’esprit pour se décider d’appliquer les moyens d’y arriver.
Pour cela, on adopte la Vue
(sct. dṛś. tib. tha-oua)
pure (tib. dak-pa) c’est-à-dire une Vue dénuée de
discrimination concernant tous les aspects co-émergent à l’esprit. Cette Vue
pure court-circuite l’action des saisies, de la soif et de la discrimination.
"Couper"
ne se décide pas avec du discours mental en se donnant des ordres. La
« coupure » s’exécute dans le réflexe intuitif du discernement (sct. prajna, tib. shérab). Pour cela, il faut s’être familiarisé
avec la théorie de la Vue par l’écoute du sens et le raisonnement. On entraîne
l’Intellect (tib. Lo Djong) pour obtenir une bonne
compréhension de cette Vue. L’Intellect (tib. Lo) est une faculté indispensable
à la méditation. Une compréhension préalable rend le chemin de la méditation
plus confortable et plus efficace.
Quand on débute
dans la méditation, même pour les habitués, il y a toujours une part de
discours mental. C’est normal et de le constater est important. On échauffe le
moteur. Cependant, éviter tout procès à ce sujet, décomplexez-vous parce que sinon
vous allez alimenter le discours mental et vous allez finir par tourner en
rond. Maintenant, si vous pouvez rester un "témoin inaffecté" quand vous
constatez ce discours vous profiterez de voir s’élever vos tendances qui
composent la discrimination. Cela n’est pas sans bénéfice sur le chemin de la
libération de nos saisies et l’émancipation de la soif. C’est l’avantage d’un
Intellect bien préparé.
Ne cherchez pas
« à ne pas penser » ou « à ne pas avoir de discours » parce
que vous instaurez un à priori imputatif. Prenez le moindre instant de conscience
que ce soit même celui de se parler à soi-même comme une aubaine pour
« une coupure » nette et sans heurt, de toute douceur, où finalement
on prend le « continuum en marche ».
Quel que soit
le moyen employé, la Vue pure est la seule manière de laisser apparaître la nature
de la pensée et de toute autre fonction de l’esprit. Parmi tous les moyens que
le Bouddha-dharma met à notre disposition, la
« coupure » est un moyen radical qui permet de laisser la pensée apparaître
en sa nature primordiale du trikayaet son œuvre
cognitive s’avérer être un déroulement non-obstruée de cinq intelligences
primordiales (sct. jnana, tib. yéshé).
[1]
Je traduis volontiers
par « vecteurs mentaux » dans le sens où ils sont parfumés d’intentionnalité offrant une
orientation faisant office de devenir. La conceptualisation de ces
« vecteurs mentaux » est : soit dépendant de l’ignorance, de la
soif et de la saisie, soit participant d’un libre arbitre.